“Friendly” : Pourquoi les Français sont-ils aussi mauvais en langues étrangères ?

Fait tristement révélateur, dans sa lettre de félicitations à Barack Obama pour sa réélection, François Hollande a écrit “friendly” pour “amicalement” : c’est tout simplement un non-sens.

 L’événement était drôle, mais également tristement révélateur : François Hollande a écrit un seul mot en anglais dans sa lettre de félicitations à Barack Obama pour sa réélection, et ce mot était mauvais. “Friendly” pour “Amicalement” est tout simplement un non-sens. La nullité des français en langues étrangères — et particulièrement en anglais — est avérée. La France se situe au 25ème rang du classement du TOEFL, test international d’anglais. Le problème va du garçon de café tentant inintelligiblement de communiquer avec des touristes médusés jusque, comme on l’a vu, aux niveaux les plus élevés de la société française.

L’incompétence linguistique des responsables français est une blague récurrente des sommets européens tout comme des grandes entreprises internationales.

Mais à qui la faute ? À l’histoire, d’abord. Comme le signale l’expression “lingua franca”, le français a été pendant très longtemps la langue internationale, eu égard à notre rayonnement politique aussi bien que culturel. Pendant très longtemps le français était la seconde langue pratiquée par tous, et donc les français n’avaient pas besoin d’apprendre une autre langue pour voyager.

Au protectionnisme culturel, ensuite. De la loi Toubon aux exigences de passage de musique en langue française à la radio, notre protectionnisme culturel fait tout son possible pour nous protéger des langues étrangères. Il est évidemment absurde de penser que l’exposition aux langues étrangères pourrait affaiblir la langue française, alors qu’elle s’en est au contraire enrichie au travers de l’histoire. Le pire coupable est ici la pratique quasi universelle du doublage des films et séries télévisées. Il suffit de constater que dans les pays scandinaves et aux Pays-Bas, presque tout le monde parle un anglais courant, et que cela est dû à la diffusion des séries américaines en version originale sous-titrée. (Ca ne ferait pas de mal non plus à la capacité de lecture des français.)

 Mais il faut, enfin, hé oui, incriminer l’école. L’enseignement des langues dans l’école française est — comment dire ça poliment? — une torture. Les langues vivantes en France sont enseignées comme des langues mortes. Mus par un cartésianisme extrémiste, les programmes sont concentrés sur la grammaire et l’apprentissage de règles théoriques, et se fondent principalement sur la mémorisation. Rien de plus contre-intuitif ! Rien de plus rebutant ! C’est en fait un miracle que certains d’entre nous sachent déjà aligner trois mots d’anglais… La faute au cartésianisme et aussi à la fonction de reproduction sociale de l’école : l’allemand, langue peu répandue, est préférée par les parents bourgeois, à l’espagnol, comme seconde langue. Pourquoi ? Pas parce qu’il vaut mieux dans sa vie parler allemand qu’espagnol, mais parce que l’allemand est réputé plus difficile. L’objectif des langues, dans l’esprit des parents (et donc des enfants et de l’école) n’est pas d’apprendre une langue, mais de montrer qu’on est “fort en thème”, puisqu’il est admis qu’apprendre une langue doit être difficile. À ce compte-là, les cours de langue au collège pourraient être profitablement remplacés par des séances de mémorisation de l’annuaire… (À noter que l’apprentissage de la grammaire française obéit aux mêmes objectifs…)

 Il est parfaitement connu que la seule méthode viable pour apprendre une langue étrangère est l’immersion. Mon cas personnel est peut être ici éclairant : je suis bilingue anglais. Je travaille tous les jours en anglais, et je suis souvent publié par des journaux américains. Mes amis américains me disent que je m’exprime sans accent. Ai-je vécu longtemps dans un pays anglo-saxon ? Jamais plus de 15 jours en continu. Est-ce que j’ai bien travaillé à l’école ? Non, c’est le contraire. Je suis bilingue anglais parce qu’en rentrant à la maison après l’école, au lieu de faire mes devoirs, je regardais des séries américaines en version originale. J’ai ensuite beaucoup pratiqué, grâce à mon addiction à internet.

Je considère que je n’ai aucun mérite d’avoir appris l’anglais : il m’a suffi de faire le contraire de ce que préconise l’école et de ce que fait notre société.

 Il n’y a absolument aucun doute que si l’Education nationale distribuait des DVD de séries en version originale au lieu de payer des enseignants, les français parleraient beaucoup mieux les langues étrangères (et perdraient moins de temps). Mais cela supposerait que nous revenions sur notre nombrilisme culturel. Cela supposerait aussi que nous considérions que l’objectif de l’école est d’enseigner, et pas de participer à un classement social par mesures arbitraires.

Nous en sommes encore loin…

Publié le 23 Novembre 2012 sur www.atlantico.fr

DOCUMENT 2

LE BILINGUISME : UNE VALEUR INESTIMABLE SUR LE PLAN DU DÉVELOPPEMENT CULTUREL, INTELLECTUEL ET MÊME MORAL DE L’ENFANT.

12 NOVEMBRE 2014, PAR CLAUDE HAGÈGE

 Claude HAGÈGE est Professeur au Collège de France et Directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études. Voici un extrait de sa conférence à Lannion, le 28 mai 1988.

“Meilleurs en math” : Les langues sont un système de signes, constitués en lexique, pour construire des énoncés. Ces énoncés se servent des signes, mais également des règles de formation pour produire des phrases d’une langue avec le lexique. L’unilingue ne connaît de ces signes que ce qu’on appelle le signifiant (partie phonique) et le signifié (le sens). Pour l’unilingue, à tout signifiant correspond un seul signifié. Un bilingue, au contraire, possède pour un même signifié deux signifiants car la traduction, le passage d’une langue à l’autre, ne change pas le sens.

Parce qu’il associe deux signifiants à un même signifié, il est à même d’analyser le signifié de beaucoup plus près… Le bilingue en situation d’analyse est donc en position plus favorable que l’unilingue.

 De nombreuses expériences sérieuses, importantes, attestent que ces enfants bilingues sont nettement plus favorisés pour un bon apprentissage des mathématiques, et plus généralement pour les opérations mentales fondées sur l’abstraction.

Les périodes favorables ¾ entre 3 et 4 ans et 10 et 13 ans, la capacité d’apprentissage des langues est la plus forte. C’est là que les capacités de mimétisme, sur lesquelles se fonde l’essentiel de l’apprentissage d’une langue, sont maximales. Après 13 ans, l’appareil articulatoire et phonatoire de l’enfant se fige, ce qui explique que les adultes ont tant de mal à apprendre les langues étrangères. Après 13 ans aussi, pour des raisons sociales, l’enfant commence à éprouver des contraintes caractérielles, des réticences dues à la volonté de défendre son image, à la peur du ridicule, toutes choses qui sont des attitudes d’adulte. Un enfant bilingue est éminemment favorisé par l’inexistence de toutes les contraintes, toutes les censures qui caractérisent l’adulte après 13 ans.

Les expériences qui ont été faites démontrent donc chez l’enfant l’aptitude au mimétisme phonique mais aussi la capacité d’acquérir non seulement le vocabulaire et la syntaxe, mais aussi la prononciation. Ce qui entraîne donc une capacité à apprendre les langues étrangères.

A cet égard, il existe de nombreux avantages techniques pour les enfants bretons à apprendre le breton. La structure de la phrase bretonne fait en effet apparaître des caractéristiques qu’elle partage avec d’autres langues, et qui faciliteront aux bretonnants l’accès à ces langues. Tout cela met l’enfant bretonnant en situation d’avoir, au travers d’une langue assez exotique, un très large éventail de moyens d’expression qui viennent s’ajouter à ceux que le français lui propose. C’est là un enrichissement culturel, car l’enfant peut alors s’ouvrir, à travers cette langue différente, à des traits typologiques présents dans beaucoup d’autres langues, sur lesquels le bilinguisme bretonfrançais offre un accès indirect. Cela est, selon moi, d’une valeur inestimable sur le plan du développement culturel, intellectuel et même moral de l’enfant.

Je ne vois aucune contradiction entre la promotion des langues régionales et la défense du français. Mais la crédibilité de la défense du français, face à l’envahissement de l’anglo-américain, n’est réelle que si le français fait le ménage chez lui et si, par conséquent, la France donne aux langues régionales, et notamment au breton, la promotion qu’elles sont légitimement en droit d’attendre. Je constate que le breton n’est pas une menace pour le français.

Je trouve autour de moi, chez les gens qui défendent le français face à l’anglo-américain, beaucoup plus de locuteurs de langues régionales que de francophones unilingues. C’est une attitude que l’on peut transposer à un niveau international. Non seulement le bretonnant n’en veut nullement au français mais encore il est en meilleure position que lui, par la précarité de sa situation, pour défendre la langue française.

Alors pourquoi le breton et non l’anglais, alors que l’anglais est une langue que nos enfants doivent apprendre rapidement ? Pour un francophone, l’anglais est une langue facile : le type d’anglais qu’il utilise, le volume de connaissances requises pour l’apprendre (c’est à dire pas grand chose) font qu’il n’y a aucune raison de se précipiter sur l’anglais. Comme l’anglais n’a pas, par ici, de sources culturelles locales comme en a le breton, je vois de moins en moins l’intérêt de se plonger dans la langue anglaise lorsqu’on a la chance d’appartenir à une région de la France qui parle une langue régionale.

En d’autres termes, si l’on admet que l’anglais, par le type de connaissances qu’on en attend, et par la proximité typologique, génétique qui le lie au français est une langue qu’un jour ou l’autre l’enfant francophone, selon l’usage qu’il en fera, apprendra il n’y a pas lieu de se hâter. En sorte que le breton ayant une justification bien plus profonde, bien plus enracinée dans la culture locale, si j’étais breton, il ne fait aucun doute que je choisirais de faire apprendre le breton à mes enfants.

 Toutes ces raisons font que le bilinguisme breton-français me paraît particulièrement défendable ici, sans compter les avantages que j’ai mentionnés pour un enfant qui commence très tôt son immersion dans une grande et belle langue celtique.

Ceux qui, même adultes, apprennent le breton ou l’apprennent à leurs enfants, sont dignes d’admiration. Je tiens à dire que j’apporte ma caution de linguiste professionnel à la promotion de la langue bretonne.